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Photo du rédacteurAurélie Chamaret

Ecologie : quels changements attendre d’une pratique de méditation de pleine conscience ?



Au regard des enjeux environnementaux actuels et face au constat que les réactions individuelles, sociales et politiques tardent à venir, il semble urgent d’élargir les champs de recherche sur les leviers de prise de conscience et d’action.


Un champ de recherche est en train de se développer pour évaluer la pertinence et l’efficacité d’autres approches pour favoriser une relation au vivant plus profonde et consciente en passant par le sensible, l’esthétique, l’intime.


En tant que démarches de transformation importante, les pratiques spirituelles font partie de cet élan. Fischer et al. (2017) ont ainsi observé une augmentation de 1 712% en 10 ans[1] des publications scientifiques traitant du lien entre méditation pleine conscience et comportements vis-à-vis de l’environnement. La pleine conscience est une pratique de méditation laïque développée à partir de méthodes de méditation bouddhistes (Kabat‐Zinn, 2003). Celle-ci rencontre un vif succès, particulièrement aux Etats-Unis et est, de ce fait, très étudiée par les chercheurs.


Deux études ont souhaité faire le point sur la recherche actuelle dans ce domaine (Fischer et al., 2017; Geiger et al., 2019). Au-delà du simple constat quantitatif, ils ont cherché à synthétiser les résultats des différentes études menées dans le monde. Pour cela, ils ont utilisé une grille d’analyse regroupant 5 conditions nécessaires pour un comportement plus éthique vis-à-vis de l’environnement et essayé d’évaluer les résultats des recherches scientifiques dans ces 5domaines. Autrement dit : la pratique de la pleine conscience est-elle en mesure de faire évoluer les individus dans ces 5 domaines :

  • Arrêt des comportements routiniers

  • Amélioration de la congruence entre les attitudes et les comportements

  • Encouragement d’un comportement pro-social

  • Culture de valeurs non matérialistes

  • Santé et bien-être


Les 5 domaines faisant le lien entre pleine conscience et comportement éthique vis-à-vis de l'environnement


1. Arrêt des comportements routiniers

Les comportements routiniers sont ceux que l’on reproduit sans questionner leur impact sur nous mais également sur l’environnement. Les addictions sont un très bon exemple mais aussi le fait de prendre sa voiture tous les jours plutôt que son vélo ou les transports en communs. Ce sont les pratiques les plus difficiles à changer en général car on y prête peu d’attention.


En pratiquant la méditation, on développe normalement une capacité d’attention, de prise de recul vis-à-vis de chacune de ses actions. On cultive ce qu’on l’on pourrait appeler « un observateur de soi », c’est-à-dire que, lorsque nous agissons, nous sommes plus en capacité d’évaluer les effets de ces actions sur nous (physiquement mais aussi mentalement) et bien entendu aussi, sur les autres.


Autrement dit, on comprend mieux ce qu’il se passe à chaque action réalisée, ce qui peut progressivement amener à un détachement des pratiques potentiellement nuisibles. Par exemple, on est plus en mesure de manger des choses qui sont bonnes pour nous. Il ne s’agit pas de se priver des mets qui nous sont vendus comme bons (les glaces, les chips, etc.) mais plus d’une prise de recul qui permet d’évaluer que ces aliments ne sont finalement pas si attractifs voire même repoussants. A partir de là, se développe une envie d’aliments réellement nourrissants.


Or, souvent ces pratiques néfastes pour nous, le sont également pour l’environnement. L’alimentation est un des exemples les plus emblématiques. En se reconnectant à une nourriture plus en lien avec nos réels besoins, nous allons faire davantage appel à des aliments simples, non transformés, de saison et au mieux, biologiques. Or l’impact environnemental des produits issus de l’industrie agroalimentaires est plus important que l’achat de fruits et légumes locaux.


2. Amélioration de la congruence entre les attitudes et les comportements

La dissonance cognitive peut être interprétée comme la différence entre ce que l’on pense, nos valeurs, et nos actes. Par exemple, nous pouvons être très conscients du changement climatique mais adorer partir loin pour ses vacances et prendre des longs courriers. Cela génère une souffrance : on a conscience que ce que l’on fait n’est pas aligné avec ce que l’on pense mais on fait avec.

Or, pratiquer la méditation nous permet d’être plus relié à ce que nous sommes en profondeur, notre Soi. Nous développons une plus grande capacité de clairvoyance et de recul. Il y a fort à penser que cela est en mesure d’apporter plus de congruence entre nos attitudes et nos comportements.


3. Encouragement d’un comportement pro-social

Les comportements pro-sociaux sont des actes volontaires mis en œuvre dans le but d’en faire bénéficier autrui. Il s’agit de tout ce que l’on met en œuvre pour aider les autres, faciliter leur vie, les accompagner dans leur développement… Des études ont montré les liens qui existent entre comportement pro-social, et plus particulièrement la compassion vis-à-vis des êtres humains, et les intentions vis-à-vis de l’environnement. Autrement dit, plus quelqu’un est soucieux des autres, plus il serait en capacité de se soucier de l’environnement et d’agir.

Et ce qui devient intéressant, c’est que d’autres études montrent que la pratique régulière de la méditation est susceptible de développer la compassion (Condon, 2017; Lim et al., 2015). Il est cependant rappelé que certaines méthodes de méditation sont plus à même de développer ces qualités et particulièrement celles tournées vers la compassion et l’ouverture.


4. Culture de valeurs non matérialistes

Notre société matérialiste valorise davantage l’avoir à l’être. Ce besoin prédateur de posséder, d’acheter et de faire impacte largement les ressources de la planète et est la source de nombre de pollutions. Or, il est de plus en plus prouvé que le niveau de vie, le degré de richesse est de plus en plus décorellé du sentiment de bien-être (Gadrey, 2018), ce qui viendrait corroborer le vieil adage : « l’argent ne fait pas le bonheur ».

Une pratique régulière de la méditation nous amènerait à prioriser d’autres valeurs et à diminuer l’importance des valeurs matérialistes pour des valeurs plus intrinsèques et orientées vers la société (Ericson et al., 2014). L’envie d’achat est souvent reliée à un manque, au besoin de remplir un vide. Une pratique méditative vient remplir l’être et le degré de contentement, de plénitude semble plus important (Vigne, 2007).


5. Bien-être et santé

De nombreuses études prospectives ont mis en évidence l'impact positif de la méditation de pleine conscience sur différents aspects de la santé, tels que le sommeil, le bien-être subjectif et les indicateurs de santé physique (Eberth and Sedlmeier, 2012; Grossman et al., 2004).

Par ailleurs, le bien-être subjectif, c’est-à-dire le fait d’évaluer soi-même son degré de bien-être, a été considéré à la fois comme une condition préalable et une conséquence des comportements durables (Corral Verdugo, 2012; Kasser, 2017). Cela signifie qu’il nous faut être en bonne santé pour se soucier de l’environnement et qu’avoir un comportement plus vertueux vis-à-vis de l’environnement garantit une meilleure santé. L’alimentation en est, bien entendu, l’exemple le plus fragrant.

Egalement, la situation mondiale actuelle, extrêmement anxiogène, nécessite de développer d’autres façons d’agir, de comprendre. L’empathie est désormais citée comme un moteur puissant pour permettre à l’humanité de sortir de l’impasse (Rifkin, 2009), au même titre que l’espérance, et cela non plus seulement par les dignitaires religieux (notamment (François and Église catholique, 2015; Le Dalaï-Lama and Stril-Rever, 2016). La pratique laïque de la méditation est ainsi légitimée et préconisée parmi les outils à mettre en œuvre (Servigne et al., 2018). Par ailleurs, il est fait de plus en plus mention de l’éco-anxiété, syndrome d’angoisse profonde liée à la prise de conscience de l’état de la planète. Alors qu’il est plus que nécessaire d’agir, cet état risque de paralyser davantage ceux qui en souffrent et les faire plonger dans un défaitisme, voire un désespoir : puisque que tout est foutu, autant y aller jusqu’au bout. Les bienfaits de la méditation sur la santé mentale et la confiance pourraient donc constituer un élément crucial pour nous aider trouver collectivement des réponses à cet enjeu inédit.


Conclusions des études


Les conclusions des deux études de Fischer et al. (2017) et Geiger et al. (2019) ne sont pourtant pas complètement concluantes au regard des travaux de recherche étudiés.


En effet, ils montrent que les preuves d’une corrélation entre pleine conscience et comportement plus durable ne sont pas tout à fait établies. Ils notent en effet que les études ont porté un intérêt particulier à deux domaines : les valeurs non matérielles et le bien-être alors que l’aspect « qualités pro-sociales » est oublié. Sur ces deux points, cependant, la méditation pleine conscience a montré son intérêt. Ils jugent dans ce sens que les résultats sont suffisamment encourageants pour justifier la poursuite des recherches dans ce domaine.

Enfin, ils soulignent que la plupart des études n’aborde la question que sous un angle individuel et n’étudie pas le potentiel de la pleine conscience d’instiller des changements à un niveau collectif, ce qui représente, pour eux, un champ nouveau pour des recherches futures. Une autre de leur recommandation est de développer des expériences plus longues (sur des mois, voire des années): la pleine conscience est une compétence qui se développe dans le temps et les changements de comportement se mesure également rarement sur une période courte.


Et le yoga dans tout ça ?

Le yoga, pratique holistique corps-esprit, intégrant la pratique de la méditation mais aussi une éthique, un travail corporel et respiratoire, est encore peu étudié sur ces questions, en comparaison à la pleine conscience. Il semble pourtant, a priori, que les effets pourraient être encore plus importants qu’une seule pratique de méditation.

Les effets d’une pratique régulière du yoga sur la santé sont désormais largement documentés. Par ailleurs, il semble que par rapport à une démarche laïque, le yoga est en mesure de proposer à ses pratiquants une éthique et une spiritualité plus affirmées. De plus, la pratique du yoga est aujourd’hui un phénomène social de masse (plus de 2,5 millions de pratiquants en France (Union Sport & Cycle and OLY Be, 2019)), donc susceptible de porter des graines de changement importantes au niveau de la société.


Mais dans les faits qu’en est-il ? La pratique du yoga telle qu’elle est envisagée aujourd’hui dans nos sociétés occidentales laisse-t-elle la place à ce type de réflexion ? Toujours selon le baromètre réalisé en France auprès d’un échantillon de pratiquants de yoga (Union Sport & Cycle and OLY Be, 2019), les attentes principales vis-à-vis du yoga sont 1) d’évacuer le stress, se détendre (83%), (2) d’entretenir son corps (65%) et (3) de rester en bonne santé (37%), l’aspect spirituel n’arrivant qu’à la 5ème place (21%). A partir de là, quelle appropriation réelle des principes de vie préconisés par le yoga ? Quelle pratique de la méditation ? La « modern western yoga culture » ne propose-t-elle qu’un modèle individualiste, renforçant finalement les égos et peu de prise en compte des enjeux de la société (Remski, 2012)?


Toutes ces questions nécessiteraient, bien entendu, un travail de recherche plus approfondi, en cours de réflexion.


Sources

  • Condon, P., 2017. Mindfulness, compassion and pro-social behavior, in: Current Issues in Social Psychology. Mindfulness in Social Psychology. Routledge, London, pp. 124–138.

  • Corral Verdugo, V., 2012. The positive psychology of sustainability. Environment, Development and Sustainability 14, 651–666. https://doi.org/10.1007/s10668-012-9346-8

  • Eberth, J., Sedlmeier, P., 2012. The Effects of Mindfulness Meditation: A Meta-Analysis. Mindfulness 3, 174–189. https://doi.org/10.1007/s12671-012-0101-x

  • Ericson, T., Kjønstad, B.G., Barstad, A., 2014. Mindfulness and sustainability. Ecological Economics 104, 73–79. https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2014.04.007

  • Fischer, D., Stanszus, L., Geiger, S., Grossman, P., Schrader, U., 2017. Mindfulness and sustainable consumption: A systematic literature review of research approaches and findings. Journal of Cleaner Production 162, 544–558. https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2017.06.007

  • François, Église catholique, 2015. Loué sois-tu = Laudate si’: Sur la sauvegarde de la maison commune. Bayard éditions : Fleurus-Mame : Les Éd. du Cerf, Paris.

  • Gadrey, J., 2018. Le PIB nous mène dans l’impasse. Projet 362, 5. https://doi.org/10.3917/pro.362.0005

  • Geiger, S.M., Grossman, P., Schrader, U., 2019. Mindfulness and sustainability: correlation or causation? Current Opinion in Psychology 28, 23–27. https://doi.org/10.1016/j.copsyc.2018.09.010

  • Grossman, P., Niemann, L., Schmidt, S., Walach, H., 2004. Mindfulness-based stress reduction and health benefits. Journal of Psychosomatic Research 57, 35–43. https://doi.org/10.1016/S0022-3999(03)00573-7

  • Kabat‐Zinn, J., 2003. Mindfulness‐Based Interventions in Context: Past, Present, and Future. Clinical Psychology: Science and Practice 10, 144–156. https://doi.org/10.1093/clipsy.bpg016

  • Kasser, T., 2017. Living both well and sustainably: a review of the literature, with some reflections on future research, interventions and policy. Philosophical Transactions of the Royal Society A: Mathematical, Physical and Engineering Sciences 375, 20160369. https://doi.org/10.1098/rsta.2016.0369

  • Le Dalaï-Lama, Stril-Rever, S., 2016. Nouvelle réalité: l’âge de la responsabilité universelle. Les Arènes, Paris.

  • Lim, D., Condon, P., DeSteno, D., 2015. Mindfulness and Compassion: An Examination of Mechanism and Scalability. PLoS ONE 10, e0118221. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0118221

  • Remski, M., 2012. , in: 21st Century Yoga: Culture, Politics, and Practice.

  • Rifkin, J., 2009. The empathic civilization: the race to global consciousness in a world in crisis. J.P. Tarcher/Penguin, New York.

  • Servigne, P., Stevens, R., Chapelle, G., Bourg, D., Dion, C., 2018. Une autre fin du monde est possible: vivrel’effondrement (et pas seulement y survivre), Anthropocène. Éditions du Seuil, Paris.

  • Union Sport & Cycle, OLY Be, 2019. Le baromètre du yoga - 1ère édition.

  • Vigne, J., 2007. Soigner son âme: méditation et psychologie. Albin Michel, Paris.


[1] 80 publications scientifiques en 2004 contre plus de 1 450 en 2015.

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