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La représentation du yoga moderne et ses enjeux

Dernière mise à jour : 17 juin 2022



Notre société actuelle repose en grande partie sur l’image : nous en sommes saturés toute la journée (publicités dans la rue ou les transports en commun, magazines, écrans divers…). En tant que phénomène social contemporain, le yoga n’est pas passé à travers cette tendance. Les comptes Facebook et Instagram de yoginis prospèrent et montrent le plus souvent de jeunes femmes blanches, minces et souples, pratiquant des postures parfois acrobatiques. Cette représentation est identique dans la presse spécialisée mais cela n’a pas toujours été le cas, comme nous le montre une récente étude scientifique qui s’est intéressée à la représentation du yoga moderne dans les médias occidentaux (Wittich and McCartney, 2020). Les deux chercheurs, des universités de Jérusalem et de Kyoto, ont pour cela analysé le contenu textuel et iconographique des couvertures de l’édition américaine du plus important magazine grand public de yoga, Yoga Journal, et cela depuis son premier numéro en 1975 jusqu’au numéro de janvier 2020. Ils se sont ainsi intéressés aux sujets abordés, aux personnes mais aussi aux objets présentés. Cette étude, passionnante, nous livre une histoire récente de la représentation du yoga en occident. Elle interroge clairement les pratiques actuelles et nous incite à nous questionner en tant que yogini et enseignant.e.s.


L’évolution de la représentation du yoga entre 1975 et 2020

A travers leur analyse des unes de Yoga Journal, les chercheurs ont défini trois grandes phases d’évolution de la représentation médiatique du yoga.



La première phase (1975-1989) est qualifiée « d’Emergence ». Le yoga est alors décrit dans son contexte indien, voire hindou. De nombreux sujet ont trait à l’origine du yoga et au contexte culturel dans lequel il s’est développé. Beaucoup d’articles sont ainsi consacrés à l’Inde. De nombreuses références sont faites à l’aspect thérapeutique du yoga. Les auteurs soulignent leur étonnement de voir que l’aspect postural (asanas) est très peu abordé dans cette phase (seulement trois numéros). En termes d’images, la plupart des photos montrent des personnes, légèrement plus d’hommes que de femmes (41 pour 37). La majorité d’entre eux sont de célèbres maitres indiens, tels que B.K.S. Iyengar, Satchidananda, Bhagwan Rajneesh, Swami Rama, Swami Kriyananda. Il s’agit de portrait rapproché, et ils ne pratiquent pas de posture. Les femmes, elles, sont plutôt représentées dans ce qu’il pourrait être qualifié de tenues de fitness, les mettant ainsi à distance de l’origine indienne du yoga. Un quart des couvertures montrent des photos de statues, de dessins et de créations artistiques diverses.



La deuxième phase court de 1990 à 1999 et est qualifié de « Croissance » par les auteurs. Cette troisième décennie fait rentrer le rentrer le yoga dans une forme plus américanisée, centrée sur le corps et orientée thérapie. Le yoga est ainsi présenté comme un outil qui peut conduire à un voyage spirituel, pouvant être qualifié de voyage personnel et "voyage de guérison" qui émanerait du "cœur" et pourrait éventuellement conduire à "de la magie". Le yoga apparait désormais comme une profession en soi. Les auteurs notent moins de représentation de professeurs indiens ou de guides spirituels (seulement deux : le Dalaï Lama en 1990 et Deepak Chopra en 1993) alors que l’identification du yoga aux femmes se poursuit. La majorité des unes (66%) montrent ainsi des femmes (majoritairement blanches) dont plus de la moitié pratiquent des postures alors que seulement 14% représentent des hommes dans des postures.



Enfin, la période entre les années 2000 et 2020 est qualifiée de phase de la « Maturité ». Le yoga devient un phénomène américain, clairement orienté vers le corps et les postures et ses racines indiennes se voient réduites voire même questionnées. L’Inde n’est plus considérée que comme un lieu touristique à visiter pour un pèlerinage. La « sagesse » n’est plus traitée que sous l’angle de l’ayurvéda. La méditation acquiert cependant un statut important (un quart des unes en font mention) alors qu’elle était très peu abordée avant 1999. Quand elle est évoquée, c’est le plus souvent sous l’angle de la réduction du stress (sachant que 16% des unes de cette période sont consacrées au stress). C’est pendant cette période que les postures vont devenir omniprésentes : 96% des unes font référence aux asanas. Ce sont celles-ci, et non pas la philosophie ou tout autre membre du yoga, qui permettent la guérison ou apportent le bonheur, luttent contre le stress, font mincir, accroissent la souplesse ou augmentent la force (un quart des unes traite particulièrement de ce dernier aspect). Les pratiques présentées ne doivent pas durer plus de 20 minutes et inclure un nombre réduit de postures. Il est intéressant de noter que la grande majorité des postures présentées (74%) sont des postures que l’on peut qualifier d’avancées (torsions intenses, équilibres sur les bras, étirements avancés). La féminisation se poursuit : 70% des unes font figurer des femmes, toujours majoritairement blanches et minces.

Les résultats de cette étude sont intéressants à plusieurs titres :

  • Elle montre la place prépondérante que la partie posturale du yoga a pris dans sa médiatisation

  • Elle souligne également la féminisation de la pratique, en faisant émerger une représentation stéréotypée de la pratiquante : plutôt jeune, blanche, mince et souple

  • Elle fait apparaitre que cette évolution est plutôt récente et peut donc se transformer.

Les problèmes posés par cette représentation